5 novembre 2012

Arnaquer ses élèves de manière éthique et responsable

Le tricheur à l'as de carreau (de La Tour)
Merci à Marin qui m'a fait suivre ce petit bijou d'humour de prof (d'histoire) trouvé sur un blog du Monde intitulé Alchimie du collège (je cours m'abonner à son flux RSS)

Ne parlons pas des arnaques grossières et peu glorieuses : prétendre qu'on a malheureusement laissé son paquet de copies sur son bureau alors qu'on ne les a pas corrigées, expliquer à sa classe qu'elle va aujourd'hui travailler en autonomie  car c'est une compétence essentielle (diantre, j'ai utilisé le mot compétence) à acquérir alors que vous êtes juste épuisée par la soirée festive de la veille, raconter des anecdotes sur vos élèves de l'an dernier quand vous êtes stagiaire... Elles sont le pendant des arnaques usuelles des élèves. Ces menus mensonges sont assez véniels et infantiles (pour notre défense, nous, les enseignants, avons passé presque toute notre vie à l'école). Elles font partie des filouteries sans effet secondaire.

Mais il y en a d'autres. Éthiques et responsables. Ce sont les arnaques pédagogiques qui permettent de surmonter avec style la dimension "contre-nature" de l'enseignement.
L'escamoteur (Bosch)
Eh oui, figurons-nous qu'un élève de 5ème aspire souvent à  tout autre chose que de consacrer deux heures de son temps à l'étude de la féodalité ou des inégalités face à la santé. Ces fourberies  tiennent de la ruse (à ce titre, lire absolument  Les ruses éducatives (ESF 2008) de Yves Guégan).  Elles ne se font pas au détriment des élèves. Elles ne jouent pas sur une quelconque crédulité. Elles permettent simplement de dépasser les tensions, les incompréhensions, les blocages, les préjugés, les rapports de force inhérents à l'enseignement. C'est de l'ordre du fluidifiant pédagogique, c'est une forme de souplesse aimable et matoise, de grâce qui permet de survoler bosses et aspérités et d'arriver à son but. C'est, en somme, de l'élégance éducative, du bel enseignement. Sans force, coercition ni douleur. A l'Arsène Lupin.

Psautier Chludov
L'une de mes préférées c'est de prétendre qu'un truc  a priori rebutant est follement désirable. Avec aplomb. "Si vous n'arrêtez pas de bavarder, il est hors de question que je vous fasse le cours promis sur l'iconoclasme byzantin. Vous y perdriez vraiment car c'est quelque chose d'incroyable, que peu de gens connaissent et qui n'est même pas au programme, c'est dire si vous êtes des privilégiés...Mais si vous ne vous en sentez pas dignes, je peux vous dicter un vulgaire résumé passe-partout sur l'Empire byzantin... ". Là, la classe se tait, elle veut, elle croit vouloir tout savoir de l'iconoclasme (je trouve ça bien d'entamer ainsi, l'air de rien, dès la 6ème  la question de la représentation possible ou non du divin... hum, hum) (ruse dans la ruse). Dans le plus grand silence,  je leur balance la différence entre iconolâtrie et iconodoulie,  la proskynèse, des histoires d'images acheiropoïètes, les affres de l'empereur Constantin Copronyme ("au nom de merde", il aurait chié dans les fonts baptismaux lors de son baptême), je leur explique les enjeux et débats de l'iconoclasme etc... Les élèves tiennent à noter les mots compliqués (ils adorent ce type de mots qui deviennent ensuite notre vocabulaires d'initiés, ça crée une belle complicité), se marrent, posent des questions drôles ou profondes, se passionnent. C'est quand même un sujet aride et ardu, mais ça passe.

Allégorie de la simulation (Lippi)
Il y a, bien sûr,  aussi, la technique inverse. L'anti-teasing. La contre-pub. Annoncer que le cours va être mortellement chiant. Celui sur les collectivités territoriales ou sur les institutions européennes est parfait pour cela.  Transformer l'ennui en sketch ("bon, nous n'avons pas encore touché le fond, il nous reste encore, et j'en suis vraiment désolée, pardon, à étudier...") permet de passer une heure assez agréable et efficace.

Quand il s'agit d'enseignement  il est surtout question de méthode, d'approche, d'étude de cas, d'exploitation du document, de progression annuelle, de démarche, de marques d'autorité ou de protocoles. On fait encore trop peu de cas du rôle de la ruse, sans doute parce qu'on l'entend, à tort, comme une forme de manipulation. Elle représente pourtant une ligne de transmission un peu sinueuse à l'élégance bienveillante qui, dans ce monde de brutes, a la politesse de l'humour et l'efficacité en arabesque. Gentleman professeur.

2 commentaires:

Loïc a dit…

Effectivement, super article ! J'aime beaucoup la "ruse dans la ruse" :-)

Boulie a dit…

J'adore !!!!

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